L’impression 3D vend son âme
Le fabricant d'imprimante 3D grand public MakerBot incarnait la possibilité d'un business model basé sur l'open source. Mais la polémique enfle depuis le lancement ce mois-ci de leur nouveau modèle, qui est fermé. Certains l'accusent d'avoir renoncé à leur éthique sous la pression des investisseurs qui ont apporté 10 millions de dollars l'année dernière.
Ce jeudi, Bre Pettis, co-fondateur de MakerBot Industries, fabricant à succès d’imprimantes 3D grand public MakerBot, doit donner un talk à l’Open Hardware Summit sur “les challenges des biens de consommation open source”. Ce qui fait bien ricaner une partie de la communauté de l’open hardware, et en particulier ceux qui contribuent au développement desdites imprimantes.
Car depuis le lancement ce mois-ci de la quatrième génération d’imprimante de l’entreprise américaine, la Replicator 2, la polémique enfle dans le petit milieu : ce nouveau modèle n’est pas open source. MakerBot a vendu son âme au monde des systèmes propriétaires sous la pression des investisseurs, accuse-t-on dans le milieu. Fini a priori l’éthique hacker qui guidait ses décisions. Une triste évolution qui se lirait dans la chronologie des faits marquants de leur jeune histoire.
MakerBot Industries a été créée en 2009 de la volonté de développer les imprimantes 3D open source domestiques, en se basant sur la RepRap, la pionnière du genre. Ses trois co-fondateurs, Bre Pettis, Zachary Smith et Adam Mayer sont issus du milieu hacker. Les deux premiers ont d’ailleurs fondé le hackerspace new-yorkais NYC Resistor.
Plus qu’un outil, RepRap symbolise une vision politique de l’open source hardware (OSHW), dont témoigne le discours d’un de ses développeurs, Adrian Bowyer : cet ingénieur rêve d’un monde où les entreprises traditionnelles seraient court-circuitées. La fabrication des produits manufacturés serait assurée par les citoyens eux-mêmes, grâce à des imprimantes 3D utilisant des plans open source partagés en ligne.
Le fondateur d’Amazon dans le tour de table
Dans les premiers temps de son existence, MakerBot réussit à fédérer une jolie communauté soudée autour des valeurs de partage et d’ouverture chères à l’éthique hacker. L’entreprise a aussi lancé le site Thingiverse, où les bidouilleurs du monde entier peuvent faire profiter des plans des objets qu’ils bidouillent avec les machines.
L’entreprise est un succès, elle compte maintenant 150 salariés, et finit par attirer l’attention des investisseurs. L’année dernière, elle lève 10 millions de dollars, alors qu’elle a commencé avec 75.000 dollars en poche. Dans son tour de table, Jeff Bezos, un des fondateurs d’Amazon. Et début de la descente aux “enfers propriétaires”.
Parmi les signes avant-coureur, le changement des conditions d’utilisation en février dernier est pointé, plus particulièrement la clause 3.2, qui oblige les contributeurs à renoncer à leur droit moral et notamment à leur droit à la paternité. Du coup, MakerBot peut utiliser le travail de la communauté dans ses produits, qu’ils soient ouverts ou fermés.
Josef Prusa, un des développeurs importants de RepRap qui monte aussi sa boîte, entame dans la foulée un mouvement Occupy Thingiverse et publie un billet à l’ironie amère :
L’impression 3D est maintenant pleine de merde. [...]
Hey regarde, nous avons pris toutes vos améliorations que vous avez partagées sur Thingiverse, nous les avons compilées dans un package et nous les avons fermées pour vous .
Parmi les autres indices, il y avait eu aussi au printemps dernier le départ de Zachary Smith. Il s’est aussi exprimé sur la polémique avec la même franchise :
J’essaye de contacter les gens pour prendre la mesure des choses mais jusqu’à présent, personne ne parle, et mes anciens partenaires ne répondent pas à mes appels et mes mails. Cela ne va pas, certainement. La meilleure information que j’ai trouvée est une tonne de double langage d’entreprise bullshit [La réponse de Bre Pettis, ndlr] qui caractérisait mes interactions récentes avec MakerBot.
Louvoiement
Face aux critiques, Bre Pettis se défend dans un billet au titre risqué, tant les reproches semblent fondés : “Réparer la désinformation avec de l’information”
Question 1 : est-ce que la MakerBot Replicator 2 est Open Source ?
Nous y travaillons et nous serons aussi ouvert que nous pourrons l’être alors que nous construisons un business durable.
Ou plutôt louvoie, comme taclent certains commentateurs :
Uh, FYI, tu as posé cette question :
Question 1 : est-ce que la MakerBot Replicator 2 est Open Source ?
Mais tu n’y as pas répondu. Tu tournes juste autour du pot et tu saupoudres d’une poignée de joyeux mots sur l’open source.
Steve Jobs du hardware
L’histoire dépasse la simple anecdote pour renvoyer à une histoire plus ancienne, celle du logiciel. Libre par défaut à ses débuts, sans que ce soit codifié, il est devenu propriétaire à la fin des années 70-début des années 80, quand il a commencé à générer une économie viable avec la montée en puissance de l’ordinateur personnel. Bre Pettis serait somme toute le nouveau Steve Jobs, plus entrepreneur que hacker.
Et comme le souligne Zachary Smith, ce tournant de MakerBot est un coup porté à ceux qui croient que l’OSHW constitue un écosystème viable :
Non seulement ce serait la perte d’un fabricant OSHW important, mais ce serait aussi la perte d’une figure emblématique pour le mouvement. De nombreuses personnes ont montré MakerBot et ont dit : “Oui, l’OSHW constitue un business model viable, regardez combien MakerBot a de succès.”
S’ils ferment leurs portes, alors cela donnerait aux gens qui diraient que l’open source hardware n’est pas viable des munitions pour leur argumentation.
Cela découragerait de nouvelles entreprises OSHW de se monter. C’est vraiment triste.
Si l’histoire se répète, la logique voudrait qu’après un coup de barre propriétaire, l’open hardware prenne sa revanche dans quelques années : l’OSHW a ses Steve Jobs, elle aura bien ses Stallman.
Imprimantes 3D via les galeries photo de wwward0, makerbot et cogdogblog sous licences Creative Commons
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