OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Google : chêne ou roseau? http://owni.fr/2012/12/13/google-chene-ou-roseau/ http://owni.fr/2012/12/13/google-chene-ou-roseau/#comments Thu, 13 Dec 2012 14:15:50 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=127342

“La presse peut faire plier Google. Les journaux belges viennent d’en apporter la preuve.” Ces deux petites phrases, extraites d’un article du Monde publié hier, ont suffi à mettre en branle le panzer de Mountain View. Billet de blog publié tard dans la soirée, conference call improvisée dans la matinée, équipe de com’ sur les dents : Google a déployé un véritable plan Vigipirate pour contrer les informations du journal du soir. Objectif : décorreller à tout prix l’accord trouvé du côté du plat pays avec les négociations toujours en cours par chez nous.

Google se paie la presse

Google se paie la presse

C'est la guerre ! Face au projet de loi de certains éditeurs de presse qui souhaitent faire payer Google dès qu'il ...

Google chez les Belges

Intitulé “Droit d’auteur : Google indemnise la presse belge”, l’article à l’origine du branle-bas de combat révèle le contenu d’un “accord secret [...] conclu, vendredi 7 décembre, entre les éditeurs francophones de quotidiens (les groupes Rossel, La Libre Belgique, L’Avenir), la Société de droits d’auteurs des journalistes (SAJ) et Google.” Ces derniers sont empêtrés depuis six ans dans une procédure judiciaire : Copiepresse, un représentant des éditeurs de presse belges, a attaqué en 2006 le géant américain pour violation du droit d’auteur sur son service Google News. Condamné en appel en 2011, Google avait fini par privilégier la voie de la négociation.

Et à en croire Le Monde, c’est lui qui sort grand perdant du deal enfin trouvé :

Le géant américain va verser une indemnisation conséquente, qui représente selon une source “entre 2 % et 3 % du chiffre d’affaires” de la presse belge francophone, soit près de 5 millions d’euros. Les journalistes devraient toucher une part de ce pactole par la SAJ.

Un “précédent qui pourrait faire boule de neige dans d’autres pays européens, à l’heure où les éditeurs français, allemands et italiens souhaitent faire payer au moteur de recherche un “droit voisin” au droit d’auteur”, poursuit le journaliste, en référence aux négociations houleuses en cours dans les pays voisins. Pourtant, ce même article conclut sur le fait que cet accord ne “semble” pas régler “la question des droits pour les années qui viennent”.

Lex Google pour les nuls

Lex Google pour les nuls

Si les éditeurs de presse français n'ont pas encore déclaré officiellement la guerre à Google, le manège y ressemble. ...

Or les revendications actuelles de certains titres, comme l’association des éditeurs de presse d’information politique et générale (IPG) en France, portent précisément sur la mise en place à l’avenir d’une contribution sonnante et trébuchante de la part de Google, au motif que le géant du web gonfle ses revenus publicitaires sur le dos de la presse. Et non, comme c’est le cas en Belgique, sur un conflit ouvert sur l’atteinte aux droits d’auteur de la presse dont Google pourrait être à l’origine. Alors même que selon des juristes, les titres français pourraient tout à fait se lancer dans ce genre de combat. Mais la bataille, en France, est différente.

Il n’en fallait pas plus pour Google pour contre-attaquer. “L’accord ne prévoit pas le paiement de redevances aux éditeurs et aux auteurs belges pour l’inclusion de leurs contenus dans nos services” martèle depuis hier son service de communication, appuyé dans sa tache par des représentants des éditeurs de presse outre-Quiévrains. De quoi calmer les ardeurs éventuelles des confrères français.

“La question d’un droit voisin n’a pas été abordée”, expliquait ce matin Francois le Hodey, président des Journaux francophones belges, qui dément avec Google les informations du Monde :

Nous n’avons jamais parlé [d'une rémunération en] pourcentage par rapport à un chiffre d’affaire.

Et de préciser :

L’accord couvre principalement les frais engagés par les éditeurs [...] mais aussi des partenariats commerciaux qui profitent à tout le monde.

Concrètement, cette alliance prend plusieurs formes : Google s’engage à acheter des espaces publicitaires aux titres de presse pour promouvoir ses produits, à les aider à optimiser leurs revenus publicitaires via Adsense et Adexchange ou à être plus facilement accessibles sur mobile.

Le tour de Gaule de Google

“Ca fait longtemps que Google est dans le coaching, le mentoring et l’accompagnement des médias”, commente Google, qui s’est dit prêt à déployer un accompagnement similaire aux autres titres de presse belges qui le souhaitent. En clair, Google est d’accord pour les coups de pouce, mais refuse toujours de donner une grosse enveloppe à la presse. “On ne paye pas pour un contenu qu’on n’héberge pas, c’est ce qu’à dit Eric Schmidt”. Une information que semble avoir bien intégrée les éditeurs de presse belges après six ans de combat. Ce matin, François le Hodey concédait ainsi au détour d’une phrase :

Il est inutile d’espérer un accord avec Google sur un concept de rémunération des contenus.

Une ligne que ne partagent pas les éditeurs de presse bien de chez nous, invités à la table des négociations. Selon nos informations, l’IPG serait encore bien décidée à aller gratter directement le trésor de Google plutôt que de les écouter prodiguer des conseils. “Amputer (un peu) ses bénéfices”, comme l’écrivait Laurent Joffrin, l’un des porteurs du texte de l’IPG. De vieux réflexes bien chevillés au corps de certains éditeurs de presse, habitués à être alimentés par un système de subventions.

Foutage de Google

Foutage de Google

Pas de surprise dans la lettre de mission du médiateur dans l’affaire Lex Google, envoyée aujourd'hui : elle confirme que ...

Contactés, Nathalie Collin, président de l’association en question, comme Denis Bouchez, son directeur, ne souhaitent faire aucun commentaire au cours de la médiation voulue par le gouvernement et entamée fin novembre. Les trois parties ont commencé à discuter, la dernière réunion datant du 11 décembre dernier.

Reste à savoir qui lâchera en premier. De son côté, l’IPG peut compter sur le soutien du gouvernement, qui menaçait il y a quelques semaines : soit la médiation aboutit, soit c’est une loi contraignant le géant du web à payer. Quant à Google France, la boîte ne lâche rien et prévient : “nous avons bien plus à gagner en travaillant ensemble qu’en se disputant.” Un message explicite, adressé aux “éditeurs du monde entier”.

Suivez mon regard.


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On achève bien les dinosaures http://owni.fr/2012/10/25/on-acheve-bien-les-dinosaures/ http://owni.fr/2012/10/25/on-acheve-bien-les-dinosaures/#comments Thu, 25 Oct 2012 16:04:07 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=124147

Longtemps, j’ai mis sur le compte de l’incompréhension – donc de la peur – l’étrange tendance qu’ont les professionnels de la politique à intervenir en permanence pour tenter de “réguler”, “légiférer”, “contrôler” les nouvelles technologies de l’information.

De mon point de vue de simple programmeur informatique, vouloir à toutes forces modifier un logiciel parfaitement fonctionnel est incompréhensible: si la règle “If it ain’t broke, don’t fix it” était à l’origine politique, elle a été largement reprise depuis par la communauté des informaticiens flemmards dont je me réclame. C’est donc tout naturellement que je pensais naïvement qu’une telle volonté de vouloir “corriger” le comportement d’un écosystème tout à fait viable ne pouvait venir que d’une totale incompréhension de son fonctionnement.

Comme toujours, j’avais tort.

L’excellent Stéphane Bortzmeyer l’a rappelé cette année lors du non moins excellent “Pas sage en Seine” : qu’ils le comprennent ou non, on s’en fout. Ils ne savent que rarement comment ça marche, et pourquoi, mais ils savent que l’effet produit sur la société n’est pas en adéquation avec leur projet politique, et donc ils agissent de manière à limiter ou à faire disparaître cet
effet. Un point c’est tout.

De leur point de vue, le “logiciel” Internet est un virus qui modifie l’état d’une société dont ils pensent être responsables, et – de gauche comme de droite – ils se prennent pour l’antivirus qui va éradiquer le méchant.

Le réseau permet au simple citoyen – pour la première fois dans l’Histoire – d’exercer son droit à la liberté d’expression “sans considérations de frontières” ? On multipliera alors les déclarations à l’emporte-pièce : il est important de convaincre madame Michu qu’Internet, c’est le mal, pour que la censure puisse s’installer un jour avec sa bénédiction. La preuve, c’est que des pédophiles l’ont utilisé pour regarder des photos, si si, alors on vote LOPPSI2 qui permettra de filtrer tout ce qu’on veut. Na.

Internet permet à d’autres qu’au seul personnel politique d’avoir en temps réel les sondages “sortie des urnes” des élections ? Surtout ne changeons rien à la loi et rappelons ce que risquent nos médias nationaux si jamais ils osent publier ce qu’on trouvera si facilement au-delà de nos frontières. Si ça ne suffit pas, on envahira la Suisse et la Belgique. Na.

L’abondance des sources d’information rend à peu près caduque la mission de “garantir la liberté de communication audiovisuelle en France” du CSA ? Qu’à celà ne tienne : on étudiera sa fusion avec l’ARCEP, au mépris du principe de neutralité des opérateurs consacrée par le 5e alinéa de l’article L31-1 du Code des Postes et Communications. Qui contrôlerait ce qu’on peut dire en public dans ce pays, sinon ?

Twitter et les réseaux sociaux ont facilité les révolutions du printemps arabe ? Fabuleux ! Vite, demandons-lui de mettre en place des méthodes de censure géolocalisée pour que nous puissions interdire la diffusion de ce que nos lois interdisent (et tant pis si demain ces outils permettront à des dictatures de garder la main-mise sur leur population). Na.

Bref. Là comme ailleurs, je pourrais continuer longtemps à dénoncer les idioties passées et à venir. Et surtout à rappeler encore et toujours le clientélisme qui semble inscrit dans les gènes de nos représentants :

“Allô François ? C’est Laurent. Dis, y a une petite boite américaine, là, Gogole, qui fait rien qu’à m’embêter à vouloir me piquer ma publicité à moi que j’ai et qui me donne envie de dire du bien de ton boulot ! Faut faire quelque chose.”
“Ok, je vais créer une taxe sur les liens !”
“Allô Aurélie ? C’est Pascal. Dis, y a des tarés libertaires qui croient qu’ils peuvent échanger ma Culture à moi que j’ai – sans payer la gabelle qui rend heureuses les célébrités qui te soutiennent. Faut faire quelque chose.”
“D’accord, je vais élargir la taxe sur les fournisseurs d’accès pour financer ton business !”

ALLO UI C INTERNET ET VOUS N’Y POUVEZ RIEN C LA MONDIALISATION.

Et oui, messieurs mesdames : la disparition des frontières c’est bon (mangez-en) pour les riches et les puissants, mais seulement si le libre-échange ne concerne qu’eux. Quand le simple citoyen s’y met aussi, alors là, rien ne va plus. Imaginez qu’en plus ils expatrient leurs données, qu’ils utilisent des VPN pour se délocaliser là où la législation permet l’activité prohibée ici-bas, voire même, horreur, malheur, qu’ils ne soient pas commerçants mais simplement partageurs !

Ces choses là ne se font pas, monsieur. Ces choses là sont réservées à nos élites, pas au bas peuple. Quand trop de monde “optimise” sa fiscalité en achetant ses DVD là où la taxe sur la copie privée est moins délirante, quand trop de monde préfère choisir le prix le moins cher pour ses achats, “sans considérations de frontière” et sans passer par les baronnies féodales de la nation, voire même – comme dans le ridicule exemple de Coursera – quand chacun peut choisir où et quoi étudier, alors là monsieur, alors là où va-t-on ?

Internet a tendance à faire disparaître les intermédiaires, dans tous les domaines. Dans l’entreprise, le mail a remplacé la chaîne hiérarchique et chacun peut s’adresser à n’importe qui. Dans le commerce, le grossiste chinois a sa propre boutique en ligne accessible à tous. Dans la Culture, l’artiste peut diffuser directement ses oeuvres à son public. Certains l’ont bien compris et ont construit un modèle économique pour en tenir compte (Google n’est finalement qu’un énorme filtre éditorial qui permet au simple citoyen de faire le tri dans une information et une culture d’abondance). D’autres le refusent, arc-boutés sur des modèles qui les privilégiaient. Rien de plus normal.

Ce qui l’est moins (normal), c’est quand ce refus d’accorder aux autres les privilèges dont on était l’unique dépositaire atteint les combles du ridicule dans lesquels baigne le législateur depuis quelques années.

Nos grands groupes industriels du numérique sont dépassés par encore plus gros et peinent à exister face aux Apple et Amazon ? Finançons un “Cloud souverain” à partir du grand emprunt ! Et tant pis si ça concurrence quelques jeunes pousses locales, mieux adaptées au nouveau monde : ce qui compte c’est d’agréer nos vieux amis.

Nos ayants droit ne gagnent plus autant qu’avant, noyés qu’ils sont dans l’évolution des formats et de la distribution des oeuvres ? Qu’à celà ne tienne : créons une “taxe copie privée” (la plus élevée d’Europe) pour les dédommager de leur propre turpitude. Et tant pis si nos petits distributeurs locaux font faillite face à la concurrence des vendeurs de support étrangers, et tant pis si cette taxe est déclarée illégale par Bruxelles. On s’arrangera : ce qui compte c’est de protéger les représentants bien nourris de nos artistes connus (et n’oublions pas que 25% de cette taxe arrose les différents festivals de nos amis élus locaux, ça compte les amis – au fait, ça s’appelle comment quand de l’argent privé permet d’acheter des passe-droit auprès de structure publiques ?).

Lex Google pour les nuls

Lex Google pour les nuls

Si les éditeurs de presse français n'ont pas encore déclaré officiellement la guerre à Google, le manège y ressemble. ...

Nos patrons de Presse sont incapables de trouver un modèle économique cohérent sur le Web ? Eh bien taxons le Web pour les aider ! Si Google indexe leurs sites il doit les payer. S’il ne les indexe pas alors c’est qu’il les censure. Dans tous les cas il doit payer. Pourquoi ? Parce que Google rend service à la Presse mais qu’il en retire de l’argent : c’est scandaleux. Personne ne gagne d’argent dans la Presse dans ce pays, un point c’est tout. Et tant pis si la Presse française finit par ne plus être indexée et si elle disparaît du paysage numérique. Ce qui compte c’est de montrer à nos amis éditorialistes influents qu’on les aime.

La liste est si longue des incohérences, taxes, législations spécifiques, au cas par cas, en fonction des besoins, des amitiés, de la puissance de tel ou tel lobby que je pourrais continuer comme ça sur des pages et des pages. Et chaque nouvelle législature recommence, encore et encore, à chercher un angle pour rétablir des frontières à jamais disparues. Mais uniquement sur Internet, les frontières, hein ? Pas sur nos routes, là ce serait nuisible au commerce mondialisé qui a rendu tant de services à nos grands groupes délocalisateurs fiscalement optimisés.

Comme si Internet n’était pas le vrai monde, comme si le vrai monde n’était pas Internet. Nos représentants politiques sont les seuls à croire encore que le Web est virtuel, que la loi commune ne s’y applique pas, qu’il y faut une législation spéciale, des frontières archaiques et une surveillance particulière.

N’importe quoi.

La loi doit être la même pour tous. Les taxes doivent être cohérentes pour être acceptables. Imposer une TVA plus élevée sur la Presse en ligne que sur la Presse papier, par exemple, ne repose sur aucune justification. Punir davantage un pédophile parce qu’il mate des gamins sur Internet plutôt que dans un square est surréaliste (et pourtant c’est le cas: CP227-23). Bannir l’antisémitisme de Twitter mais le laisser s’étaler dans la rue est affligeant. Et en ce qui concerne nos finances, ce n’est pas mieux : OVH prouve que le cloud souverain n’est pas forcément un cloud financé par l’Etat quand il refuse le dictat d’Apple d’obéir aux lois américaines. Inutile donc de favoriser la concurrence dans ce marché déjà ultra-concurrentiel : c’est simplement contre-productif à l’époque du redressement productif.

La période est à la recherche de compétitivité dans un marché mondialisé, mais dès qu’Internet est impliqué on fait tout à l’envers. On finance des baudruches en ignorant nos réussites, on protège des modèles économiques dépassés au prix des libertés publiques, on cherche à dresser des lignes Maginot numériques tout en nous expliquant que dans le “vrai monde” on ne peut pratiquement rien faire pour Gandrange, PSA, Florange et Sanofi, et on se tire des balles fiscales dans le pied de la croissance des nouvelles technologies.

On fait n’importe quoi. On joue à contre-temps. Le libéralisme a sans doute permis une croissance sans précédent dans le commerce des biens physiques, mais la crise économique montre qu’il y a atteint ses limites. Et plutôt que d’en revenir, là où ce serait nécessaire, on voudrait le bannir là où il démontre son utilité ? Ces choix politiques sont dépassés, dépourvus de toute cohérence, sans vision d’avenir, sans autre projet que celui de favoriser ses amis. Tout le démontre.

Pitié, pitié, achevez ces dinosaures délirants. Depuis la chute de la comète Internet, ils souffrent trop.


Photo par Matt Carman [CC-byncsnd] modifié par Ophelia Noor avec son aimable autorisation.

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Lex Google pour les nuls http://owni.fr/2012/10/24/la-taxe-google-pour-les-nuls/ http://owni.fr/2012/10/24/la-taxe-google-pour-les-nuls/#comments Wed, 24 Oct 2012 11:23:45 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=123977

Parole contre parole, troll contre troll. La lutte entre certains éditeurs de presse français, Laurent Joffrin en tête, et Google, autour d’un projet visant à faire payer ce dernier dès qu’il colle un lien vers des articles, a connu son lot de diatribes et d’envolées lyriques. “Censure”, “menace” : au-delà des gros mots, difficile de toucher le fond. Rien ou trop peu a été dit sur les modalités d’un tel dispositif : concrètement, on fait comment ? Le point avec Cédric Manara, spécialiste des questions juridiques touchant à Internet et à la propriété intellectuelle.

Et tu références-rences-rences le contenu qu’il te plaît

Premier constat, qui s’est imposé assez rapidement : en l’état, rien ne peut forcer Google à référencer un contenu, pour l’obliger dans un second temps à payer pour le faire.

Autrement dit, si le projet de loi des éditeurs de presse venait à s’imposer en France, le géant américain aurait toujours la possibilité de bifurquer : choisir d’arrêter de signaler dans ses services (Google Actu, moteur de recherche classique) les contenus qui l’obligeraient à payer en favorisant ceux en provenance des blogs, des forums, de l’étranger… Bref, tout ceux placés en dehors du radar de la loi. Et oui, c’est ballot, Internet n’est pas français, mais mondial.

Google se paie la presse

Google se paie la presse

C'est la guerre ! Face au projet de loi de certains éditeurs de presse qui souhaitent faire payer Google dès qu'il ...

L’absence d’un tel levier pourrait expliquer la faiblesse des argumentaires, qui titillent aujourd’hui avant tout la fibre morale de Google. “La multinationale américaine, qui se targue de remplir une tâche d’intérêt général grâce à son moteur de recherche, vient de démontrer qu’elle se soucie comme d’une guigne du droit à l’information”, proclamait par exemple le tribun Joffrin, en fin de semaine dernière.

Une stratégie de la terre brûlée qui pourrait néanmoins s’avérer payante : si aucun outil juridique ne menace Google, son image d’orchestrateur sympa de la connaissance, savamment construite au fil des années, risque d’être écornée en France. On comprend mieux alors pourquoi Laurent Joffrin ou son acolyte Nathalie Collin, à la tête de l’association d’information politique et générale (IPG) qui a remis le texte aux ministères, ont choisi de mener l’affaire sur la place publique au lieu de jouer profil bas, comme il est normalement d’usage dans de telles opérations de lobbying. Quitte à exposer au grand jour la proximité des patrons de presse avec le pouvoir en place.

Mais l’image de Google ne sera pas seule déterminante. “Le business va aussi la décider”, poursuit le juriste.

Si Google estime qu’il y a un appauvrissement de ses services, et qu’il veut davantage que le contenu gratuit, ou si des gens quittent Google News par exemple, alors ils pourraient changer de politique. Et réindexer les contenus payants. On peut même imaginer qu’ils changent souvent de politique : un jour ils indexent, l’autre non, etc.

Admettons

Dans l’hypothèse où Google accepterait de se soumettre à un tel dispositif, une véritable machine à gaz verrait alors le jour. Avec son lot de questions. Et d’absurdités.

Dans son projet, la presse s’inspire des industries culturelles. A commencer par la création d’une extension du droit d’auteur, un droit “voisin”. Le problème, souligne Cédric Manara, c’est que ce nouveau droit, inventé à l’origine “pour récompenser ceux qui soutiennent les créateurs”, viendrait s’appliquer à des choses déjà protégées par le droit d’auteur. Une option qui fait bondir notre juriste.

C’est la création d’un droit qui protège les sociétés de presse. Même si elles publient trois ou quatre lignes sur n’importe quelle actualité, elles sont de fait protégées. Non pas pour leur contenu, mais en leur qualité d’organisme de presse. C’est la création d’un droit équivalent au système de l’Ancien régime, la création d’un privilège. Pourquoi protéger un organisme de presse plutôt que d’autres contenus ? C’est un problème. Et si c’est ça la politique actuelle à l’heure du débat sur la propriété intellectuelle à l’heure du numérique, alors ce n’est pas bon signe.

Avec un tel dispositif, Internet se verrait donc administrer une bonne dose de verticalité : les articles produits par des organismes de presse reconnus bénéficieraient d’une valeur différente de celle des autres contenus, libres. Mieux, seul le haut du panier de la presse bénéficierait pleinement de ce nouveau droit.

Car pour traiter avec Google et collecter les sommes associées aux articles signalés par le géant américain, une société de gestion collective verrait aussi le jour.

A en croire le projet de loi de l’IPG, révélé par Télérama, les éditeurs de presse seraient favorables à “une rémunération équitable forfaitaire”, “calculée en prenant en considération des enquêtes et des sondages, notamment sur le comportement des internautes à l’égard de ces liens.” “Par exemple, ils peuvent dire que le taux de clic devrait valoir telle somme par rapport à tel usage”, complète Cédric Manara. Et d’ajouter :

La boîte noire de ce dispositif, c’est la répartition. En l’état, cet enjeu est noyé dans le projet. Or on connaît les travers des sociétés de répartition déjà existantes, dans lesquelles le traitement est inégalitaire.

La clé de cette répartition serait à chercher du côté de la composition du conseil d’administration de la société. “Cela consistera à donner un pouvoir à ceux qui auront trusté les mécanismes de la société de gestion”.

Faut-il encore que le rêve des éditeurs de presse de l’IPG s’accomplisse. Et sur ce point, c’est pas gagné. Si Aurélie Filippetti semble y être favorable, du côté de Bercy en revanche, on semble beaucoup moins chaud. “C’est une des pistes étudiées”, nous indique-t-on là bas. “On ne trouvera pas la solution en deux jours”. La prudence serait donc de nouveau de miser sur ce dossier qui a déjà fait la preuve de son explosivité. Que reste-t-il alors aux éditeurs de presse ?

L’un des scénarios serait de viser Google sur le terrain économique. Une option qui serait sérieusement envisagée du côté du ministère du redressement productif. Interrogé par Owni, ce dernier s’est abstenu de tout commentaire. Le principe est simple : saisir l’Autorité de la concurrence pour abus de position dominante. L’issue elle, est bien moins certaine.

“Google est une plate-forme, elle ne produit pas d’articles donc on pourrait conclure qu’elle ne cause pas de tort aux éditeurs de presse, songe Cédric Manara. Ceci étant dit, il est possible de sanctionner une entreprise qui utiliserait sa position sur un marché A pour agir sur un marché B. Mais là encore, Google n’est pas sur le marché de la presse et ne devrait pas y venir…”

Copiepresse vs Google: de l’index au majeur

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La décision de Google de désindexer les médias belges francophones a provoqué un vif débat sur la relation entre la ...

David contre Goliath

L’équation est d’autant plus difficile à résoudre qu’il n’y a aucun précédent du genre en France. L’Autorité irait sans doute étudier les autres cas de figure, en Belgique ou encore au Brésil, où les éditeurs de presse se sont également frottés à Google News.

Si ce dernier mettait ses menaces à exécution, en déréférençant les articles français, les journaux pourraient aussi choisir de s’attaquer seuls au colosse du web devant un tribunal de commerce. Au motif que l’action de Google fait baisser leur chiffre d’affaires. Mais là encore, difficile de savoir l’impact réel des services.

Dans un article dénonçant le “flou” de cette guerre d’un nouveau genre, Arrêt sur images écrit que la “la bataille des chiffres est ouverte. Dans un papier consacré au sujet, Lemonde.fr affirme que seulement 5% de son trafic provient d’une recherche Google, Lenouvelobs.com déclare une fourchette comprise entre 20 et 25%, avec environ 50% pour LePlus, la partie participative du site. Quant au figaro.fr, le premier site d’information français, il refuse de communiquer le moindre pourcentage. Il ne fait pas toujours bon afficher sa dépendance à Google”, conclue le site d’informations, qui estime quant à lui que 27% de ses visites le mois dernier provient des moteurs de recherche, “dont plus de 90% en provenance de Google.”

Reste l’option d’une attaque pour violation de droits d’auteur. C’est l’option prise en 2005 par l’Agence France Presse (AFP), ou en 2007 par la société Copie presse, en Belgique. Des actions qui se sont finies par un accord commercial, dont il est difficile de connaître les termes. “On peut imaginer des accords sans contrepartie financière, ou même que les journaux paient pour avoir une bonne place sur Google, explique Cédric Manara. Beaucoup paient pour avoir des adwords, on pourrait penser qu’ils paient directement pour être bien référencés !”

Reste un problème, de taille : Google est un véritable ogre juridique. Capable de faire durer les bras de fer devant les différents tribunaux. Et de porter les affaires devant les instances européennes. Difficile donc pour les rédactions d’aller affronter Goliath, seules avec leurs petits poings. Mieux vaut se tourner vers un autre géant : l’Etat français.


Illustrations par Loguy pour Owni /-)

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